Le 08 Mars : Célébration d’une fête ou commémoration des moments de lutte?


Le 08 mars est une date importante pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de la promotion du Genre, plus spécifiquement ceux travaillant dans la lutte contre les violences basées sur le Genre. Cette date est en effet la journée internationale des droits de la femme.

Pour ma part, j’en ai entendu parler pour la première fois lorsque j’étais à l’université, en deuxième année de graduat de médecine. Il faut dire que je viens d’une petite cite située a plus de 100km de la capitale de ma province d’origine au sud Kivu. J’avais donc pratiquement 20 ans lorsque j’en ai entendu parler pour la première fois. « Quelle idée magnifique! » ai-je pensée. Personne ne m’avait dit ce que c’était vraiment mais intuitivement je n’ai senti en moi que joie, un sentiment de jubilation et je n’avais qu’une idée: participer activement a la réussite de cette « fête » car comme je le sentais, c’était une célébration. A l’époque, il s’agissait surtout d’organiser des « concours Miss » de l’université, faire des sketch et du théâtre, parfois jouer au football, une ou deux conférences…la première et même la deuxième année c’était une superbe joie commune, délirante, plein d’entrain, de froufrou, des rires  espiègles, de taquineries de la part de mes amis garçons et souvent des cadeaux de la part de mon amoureux.

 
Ce matin du mois de mars 2016, dans mon bureau



Deux années plus tard, a l’occasion de la même « fête », il m’a été demandé de parler de « la Femme en Islam » (ma religion), pendant qu’une amie qui était en Droit aurait à exposer sur «  La femme dans la législation congolaise ». Et enfin une autre collègue avait la tâche ardue de parler de « la femme dans la bible ». L’université ou j’ai fini s’appelle Université Catholique de Bukavu, gérée  par l’église mais néanmoins très ouverte d’esprit on va dire.

Et c’est là que tout a éclot véritablement pour moi…Car j’ai dû potasser pas mal, lire et relire des versets du coran, parler à des Sheikh et découvrir tant soit peu la situation de la Femme dans mon univers (je n’avais pas encore facilement accès à internet comme maintenant). Ce fut l’illumination, le choc salvateur et surtout la prise de conscience. J’ai compris encore plus profondément deux choses principales:

- il existe d’une part l’Islam (ses préceptes, ses principes, sa Voie) et d’autre part les musulmans (leurs pratiques, leurs croyances, leurs rituels mélangées à leurs habitudes qu’ils appellent la « tradition Africaine »)

- J’étais une privilégiée. Je faisais partie de 1% des filles qui arrivaient à l’université dans mon pays.

 Ces découvertes m’ont fait réfléchir. Et la veille de mon exposé, je n’ai presque pas fermé l’œil de la nuit. Comment se faisait-il que je n’ai jamais été choquée par toutes ces injustices qui étaient tout autour de moi? Comment se faisait-il que tout le monde autour de moi vivait comme si de rien notait? Plusieurs questions m’ont tourmentée, j’étais secouée par des émotions diverses. Parfois me culpabilisant, parfois me mettant en colère, ou encore envahie de tristesse et découragée. Mais je comprenais surtout que mes parents m’avaient protégée, s’étaient battus pour que je « sorte du lot ».

Un defilé, à bukavu en 2011
Le lendemain donc je suis allée à la conférence à l’université, dans la grande salle, et je devais être la deuxième présentatrice. J’ai eu le temps de comprendre que la congolaise mariée était une ‘’incapable’’. C’est le terme utilisé jusqu’à ce jour pour décrire  le fait que le code de la famille ne permet pas à une femme de travailler sans l’autorisation maritale. D’autres éléments m’ont été révélés, sur ce fameux code et la place qui est réservé la femme, surtout l’épouse. Elle peut être mariée à 14 ans, n’a pas le droit au divorce en cas d’adultère de son mari sauf si celui-ci « revêt un caractère injurieux », ne gère que le « panier de la ménagère » etc. J’étais sur l’estrade et j’écoutais tout avec une stupeur horrifiée que je maîtrisais avec peine.
J'ai appris que la journée existait depuis bientôt un siecle, son lien avec la reclamation des droits des femmes, du droit à La Paix tout simplement, et qu'elle avait été decretée par les Nations Unies depuis le 08 mars 1977. si vous êtes interressé(e) par l'histoire de cette date, lisez ici son histoire . J'ai aimé le coté simple et enjoué de cet lien.

Ensuite j’ai parlé. J’ai commencé par expliquer qu’il existe l’Islam d’un côté et les pratiques, des musulmans, de l’autre. J’ai tout dit, tout ce que je savais sur ce qui était prévu par la Shariah (la Voie, en Islam ou préceptes politico religieux), tout ce qui est décrit par le coran et la sunna. Ensuite j’ai parlé de ce que je voyais et ce que vivaient les femmes dans les pays dit musulmans, ou dans ma communauté. C’était deux mondes opposés, parallèles.

La troisième collègue a parlé de la femme dans la bible. Son approche était féministe et elle a décrit surtout comment les religieux et hommes de pouvoir ont utilisé les « saintes écritures » pour bannir la femme de la vie publique et du pouvoir. Elle a parlé du côté «  misogyne » de la chrétienté sans oublier la période noire de l’inquisition et de la chasse aux sorcières. Ce 08 mars-là, je ne l’oublierai jamais. J’ai été face à la réalité, de ma région, de ma religion et de mon milieu, de mon Pays.

Ensuite la phase des questions et réponses est arrivée. Les étudiants étaient, comme moi  les jours précédents, friands de savoir et comprendre comment des telles croyances perduraient, pourquoi était-ce encore d’actualité. Je n’avais pas beaucoup de réponses à l’Epoque, il faut l’avouer.

Aujourd’hui j’en ai quelques-unes. Ce qui est étrange c’est que les mêmes jeunes de l’époque, qui sont adultes aujourd’hui ne se posent plus ces questions, ne semblent plus si choqués, peut être que certains en sont venus à penser que la situation de la femme à ce jour est « exagérément décriée, c’est une affaire des occidentaux » ? Ont-ils été assimilés, phagocytés par la « réalité immuable »? Pensent-ils réellement que les femmes de chez nous sont « bien mieux que ne nous les dépeignent les médias » ou est-ce une réaction normale face à une médiatisation mal faite des conditions de la femme?

Je ressens toujours en moi, un peu moins certes, des émotions diverses lorsque vient cette date ; et je continue à faire des exposés le 08 mars. Parfois pour mes collègues de travail, parfois en informel avec mes amis sur les divers réseaux sociaux. Je les titille, je les pique, je les vois réagir et surtout j’apprends. J’apprends beaucoup des réactions des diverses personnes venant des divers milieux: des filles, qui portent un pagne , extasiées; encore plus des hommes qui parfois ne savent plus s’il s’agit d’un énième saint Valentin; j’en apprends aussi des activistes qui rappellent qu’il ne faut pas fêter comme si c’était un journée de joie, mais plutôt relire tel ou tel autre rapport qui fait froid dans le dos en décrivant la situation des femmes de telle ou telle autre catégorie…Le 08 mars est une banque des données qualitatives et un jauge de mon univers d’activiste.
Uvira, fevrier 2016, en atelier avec quelques activistes des droits de la femme


En résumé, j’ai remarqué que la plupart des gens, aux alentours du 08 mars, semblent être dans cette ambiance de « fête » qui exaspèrent pas mal des féministes et autres activistes de la promotion du Genre. Pour ces derniers, cette journée devrait uniquement être consacrée à la commémoration des grandes avancées de la Cause de la Femme. Une journée de réflexion sur ce qui a finalement été conquis, sur les défis et enfin ce qui reste à faire.

Pourtant une grande part des femmes et même des hommes continuent à célébrer cette journée en fête. Personnellement, J’ai reçu plusieurs messages types « hommages à toi, O femme, O mère », et bien entendu, le poème de Camara Laye sur sa mère (Femme Noire, Femme Africaine) m’a été envoyé au moins six fois via les réseaux sociaux. Il semble donc que 08 mars soit encore, pour beaucoup, la journée non pas du rappel du combat des droits des femmes mais simplement de l’hommage à la Femme dans son rôle aux cote de l’homme. Les mères sont célébrées, les épouses magnifiées, les sœurs dorlotées, les filles bien habillées. Mais celles qui n’ont ni enfants ni époux, eh bien, elles se contenteront de quelque amoureux, qui pourrait (devrait?) lui rappeler combien elle est utile…

 

Pour ma part je ne peux pas condamner les célébrants ni les commémorant, car j’ai été tour à tour les deux. J’ai célèbre la journée comme une fêtée des femmes car je ne pensais pas qu’il y en avait. Et j’ai adoré l’ambiance festive, même s’il y avait peu de place à la réflexion en ce moment-là. Mais c’était tellement nouveau dans mon monde! Donc, oui! Je comprends ces mamans du village qui sont si contentes d’être dans leur uniforme de pagne, d’être vues comme les reines du jour pour quelque heures même si leurs sœurs instruites et combattantes les regardent avec condescendances ou même dédain. Apres tout, qui les a jamais célébrées comme elles le sont le 08 mars? Laissons-les célébrer le fait d’être femme. Voilà pourquoi en solidarité, je porte autant que possible ce jour-là, notre costume national, le pagne de la congolaise, de préférence de couleur brillante pour faire comprendre que je magnifie la Femme.

Apres, oui, je suis décidée de faire de cette journée une occasion pour militer encore plus activement afin que les droit de la célébrée soient respectés. Autant que possible je discute, expose, argumente et surtout réfléchis sur le rôle que devrait jouer la communauté, les acteurs divers, mes amis, ma famille et surtout moi-même pour améliorer le statut de la célébrée. De toutes ces célébrées, pas seulement les mères, les sœurs ou les filles. Mais aussi simplement celles qui existent, qui sont femmes sans forcément être définies par rapport à leur rôle dans la société.

 

Bonne fête à celles qui en sont encore au stade de fête. Bon courage et bravo pour le militantes et militants qui en sont à un niveau plus supérieur et surtout bonne méditation à nous tous et à nous toutes.

Aziza.

Commentaires

  1. Très appréciable, ce récit, à sa juste valeur! Hommage au temps qui traine pour nous des pages qu'il nous ouvre à lire mieux aujourd'hui qu'hier. Tu es tout a fait logique Aziza, et c'est un plaisir d'avoir lu ces écrits d'hier, on e dirait pas qu'il y a une année. L'éducation de l'adulte sur le militantisme des femmes et la lutte de leurs droits doit passer par un éveil national, par vous aux pieds de la pyramide ou par les dirigeants de par le sommet! Nos filles doivent apprendre mieux de nous ce qu'elles sont et surtout CZ qu'elles doivent vivre dans cet univers en tant que filles (telles qu'elles le ressentent) mais bien plus en tant que membres d'une société où elles doivent s'épanouir autant que les garçons ! Une véritable sensibilisation autour de la journée du 08 mars zn RDC doit précéder ladite date pour recentrer les actions, orienter les élans! Le thème de l'année 2019 est très bon. Mais pourquoi le sort-on juste presqu'à la veille? Peut-être que je ne suis pas mieux infirmé. Merci du partage de ton expérience de la conférence à l'Université, un jour du 08 mars. Heureusement que ton auditoire était très varié, déséquilibré même, à ton avantage a l'époque ! Tu aurais difficile à tenir cette conférence devant des cheikhs ! Paix!

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  2. Merci mon ami.
    Mais je pense que les sheikhs aujourdhui sont de plus en plus conscients que les femmes ne sont pas tres bien traitees
    Je le sens dans leurs preches , tres differentes de ce qu ils disaient il y a 20 ans! Ça va un peu mieux mais ils peuvent bien faire!!

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  3. Un message qui a sa place aujourd'hui. Bon nombre de femmes ne savent pas comprendre le pourquoi du 08/03. Si l'on pouvait toutes le lire...
    En tout cas merci b2, j'ai pris ma part ! Bonne méditation à nous 🥰

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  4. La lutte continue. Elle a existé, et tant que nous existerons, nous lutterons pour que notre génération et celle à venir jouisse pleinement de leurs droits en tant qu'Etre humain, digne

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